VIH en Afrique du Sud : Identifier et cibler les derniers bastions de l’épidémie pour espérer l’inverser

Vendredi 10 octobre 2025
VIH
Introduction
Pour mieux comprendre les enjeux en termes de préventions et d’action vis-à-vis du VIH, Jihane Ben- Farhat a mené une analyse approfondie sur les comportements à risque dans le KwaZulu Natal en Afrique du Sud. Ses travaux identifient les "poches de résistance" où il est essentiel d’agir pour espérer inverser l’épidémie. Mais le gel des financements du PEPFAR (U.S. President's Emergency Plan for AIDS Relief) menace de réduire à néant les efforts entrepris ces dernières années et les actions à envisager pourraient rester lettre morte.
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Quels sont les principaux enseignements de votre enquête ?

Jihane Ben- Farhat : Notre étude a été conçue pour mesurer les progrès en matière de diagnostic, de mise sous traitement, et de suppression de la charge virale chez les personnes vivant avec le VIH dans le KwaZulu Natal en Afrique du Sud. Les données collectées en 2018 montraient des améliorations par rapport à 2013 de tous les indicateurs de l’ONUSIDA 90-90-90 (1). Cependant, il n'y a pas eu de baisse significative chez les hommes ou les femmes de moins de 20 ans, laissant craindre une forte transmission du VIH au sein de cette population et le maintien de l'épidémie de VIH dans la région. A partir des informations collectées, nous avons donc cherché à en savoir plus sur les comportements des personnes les plus à risque de transmettre le VIH. 

Parmi les 862 personnes vivant avec le VIH, âgées de 15 à 59 ans, incluses dans notre enquête – majoritairement des femmes – 1 sur 10 ne se savait pas porteuse du VIH, plus de 1 sur 6 n’était pas sous traitement antirétroviral, et environ la même proportion n’avait pas une charge virale supprimée. Cela signifie qu’un nombre important de personnes – plus de 10% - restent à risque de transmettre le virus, faute de suivi ou de traitement adéquat.

Or, il est préoccupant de constater que ces mêmes personnes – celles ne connaissant pas leur statut ou sans suppression virale – avaient souvent eu un nombre plus élevé de partenaires sexuels au cours de l’année précédente que les autres. Les hommes et les jeunes adultes âgés de 20 à 34 ans apparaissent particulièrement à risque de transmettre le VIH.

Vous mettez aussi en évidence un enjeu particulier chez les plus jeunes, notamment ceux ayant acquis le VIH par transmission verticale. Quelles sont les lacunes en matière de diagnostic et de traitement ?

Jihane Ben- Farhat : La moitié des jeunes âgés de 15 à 19 ans de notre étude, donc vivant avec le VIH, ont déclaré n'avoir jamais eu de rapports sexuels, ce qui pourrait laisser supposer qu'ils ont contracté le VIH par transmission in utéro ou au moment de l’accouchement. Seuls trois quarts de ces jeunes étaient sous traitement antirétroviral. Ces résultats soulignent l'importance d'un diagnostic et d'un traitement précoces du VIH chez les femmes enceintes afin de prévenir la transmission de la mère à l'enfant. Ils rappellent également la nécessité d’une approche adaptée pour les adolescents que cela soit en termes d’accès aux tests de diagnostic et de distribution des traitements antirétroviraux (ARV).

Quelles sont les priorités pour lutter contre ces poches de résistance ?

Jihane Ben- Farhat : Il est crucial de poursuivre les efforts en matière de prévention, notamment par la promotion des programmes existants et la distribution à grande échelle de préservatifs. Trop d’hommes, bien qu’informés de leur statut sérologique, continuent d’utiliser le préservatif de manière irrégulière, même lorsqu’ils n’ont qu’une seule partenaire. Or, les études montrent que nombre d’infections surviennent au sein de couples dits sérodiscordants, lorsque l’un des partenaires présente une charge virale élevée.

L'amélioration des services de dépistage du VIH, l'accès facilité aux ARV, et la mise en place de parcours de soins adaptés aux besoins individuels — en tenant compte de l’historique et du profil clinique de chaque personne — sont essentiels. Ces dispositifs doivent être conçus de manière à limiter au maximum la stigmatisation. C’est tout l’enjeu des modèles dits de prestation différenciée de services pour la délivrance des ARV. Ces approches centrées sur la personne permettent de mieux répondre aux besoins des patients tout en allégeant la charge des systèmes de santé. Elles offrent, par exemple, la possibilité de réduire le nombre de visites en clinique grâce à des renouvellements rapides, avec une dispensation des ARV tous les 3 à 6 mois au lieu de chaque mois. Des modèles communautaires permettent aussi à un membre d’un petit groupe (souvent de six personnes) de se relayer chaque mois pour aller chercher les traitements pour l’ensemble du groupe.

Y a-t-il des programmes ou initiatives qui fonctionnent particulièrement bien et pourraient être renforcés ? 

Jihane Ben- Farhat : Comme nous venons de le voir, l’un des enjeux majeurs pour maîtriser l’épidémie est d’adapter davantage la prise en charge aux modes de vie des personnes vivant avec le VIH. À cela s’ajoute le développement prometteur des approches à longue durée d’action, telles que la nouvelle combinaison de deux antirétroviraux – rilpivirine et cabotégravir – administrée par injection tous les deux mois. Ce traitement pourrait être particulièrement utile pour les personnes à très haut risque de transmission, chez qui la charge virale n’est pas contrôlée.

Pour les couples sérodiscordants, une autre option est la prophylaxie pré-exposition (PrEP) injectable, connue sous le nom de CAB-LA (cabotégravir à longue action). Ce traitement, administré une fois toutes les huit semaines, est un analogue du dolutégravir et s’est révélé sûr et très efficace pour prévenir l’infection à VIH. Lors du dernier grand congrès sur le VIH – la CROI à San Francisco en mars dernier – auquel j’ai eu l’occasion d’assister, les premiers résultats d’un essai de phase 1 de la PrEP annuelle ont été présentés : aucune nouvelle infection n’a été recensée parmi les personnes suivies dans la cohorte. Ils font suite aux résultats révélés en 2024 montrant la très grande efficacité du lénacapavir lorsqu’il est administré tous les 6 mois. C’est un espoir immense pour l’avenir de la prévention.

Mais cette dynamique pourrait être brutalement freinée. Le gel des financements du PEPFAR, récemment annoncé, menace de mettre un coup d’arrêt à de nombreux programmes vitaux. Si ces financements ne sont pas maintenus, les projections sont alarmantes : d’ici à 2030, un million d’enfants supplémentaires pourraient être infectés par le VIH, 0,5 million pourraient mourir du sida, et entre 2 et 8 millions deviendraient orphelins à cause de la maladie (1).

On a vu lors de la pandémie de COVID-19 que certaines ressources dédiées à la lutte contre le VIH avaient été détournées vers l’urgence sanitaire. Aujourd’hui, avec le gel des financements du PEPFAR, on risque d’aller encore plus loin. Quels enseignements peut-on tirer de ces précédentes interruptions de financement ?

Jihane Ben- Farhat : La pandémie de COVID-19 a mis à l’épreuve les systèmes de santé du monde entier, mais elle a aussi révélé la résilience remarquable des programmes de lutte contre le VIH. Malgré des interruptions, les scénarios catastrophes redoutés ne se sont pas produits. Cela prouve que ces programmes sont solides, efficaces et bien ancrés dans les réalités des populations concernées.

Ce constat rend d’autant plus préoccupante la remise en question actuelle de leur financement. Les modèles différenciés de soins ont démontré, dans de nombreux contextes, leur capacité à faciliter l’accès au traitement et à améliorer l’adhésion. Nous l’avons nous-mêmes constaté sur le terrain.

Par ailleurs, les stratégies à longue durée d’action, qu’il s’agisse de prévention ou de traitement, représentent une avancée majeure pour atteindre les populations les plus difficiles à couvrir, là où la transmission du virus reste la plus active.

Nous étions en bonne voie pour endiguer durablement l’épidémie, mais sans garantie de pouvoir maintenir ces programmes, les acquis sont en danger. Et sans un système de santé solide et inclusif, nous ne sommes pas à l’abris d’une nouvelle pandémie.

 

  1. Les objectifs 90-90-90 de l’ONUSIDA visent à atteindre 90 % des personnes vivant avec le VIH connaissant leur statut VIH, 90 % de ces personnes ayant accès à un traitement antirétroviral (ARV), et 90 % des personnes sous ARV avec une charge virale durablement supprimée.
  2. https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(25)00401-5/fulltext?dgcid=twitter_organic_lancet

 

© Rogan Ward/MSF

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Behavioral HIV-serosurvey reveals clustering of risk factors likely plays a key role in sustaining HIV epidemic in rural KwaZulu-Natal, South Africa.

Référence de l'article: BMC public health 2025 Oct 10; 25(1); . doi: 10.1186/s12889-025-24611-1. Epub 2025 10 10
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