Quel(s) impact(s) des modèles différenciés de délivrance des antirétroviraux auprès des utilisateurs ?

Mercredi 11 janvier 2023
VIH
Introduction
Adapter la prise en charge aux modes de vie des personnes vivant avec le VIH fait désormais partie des enjeux pour contribuer à la maîtrise de l’épidémie de VIH dans le monde. Dans deux études, l’une menée sur une population itinérante en Ouganda et l’autre dans un site urbain en République démocratique du Congo, Epicentre montre la bonne acceptabilité des modèles différenciés de délivrance des antirétroviraux.
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VIH Goma
Corps éditorial

Depuis 2015, l’Organisation Mondiale de la Santé appuie le développement des modèles dits de prestation différenciée de services pour la délivrance des traitements antirétroviraux (ARV). Ce sont des approches centrées sur la personne qui fait le choix d’adapter les soins, les traitements et leur délivrance à son mode de vie afin de minimiser leur impact. Elles permettent aux patients dont la maladie est contrôlée de réduire le nombre de leurs visites à la clinique, la distance à parcourir pour le renouvellement des traitements, les dépenses de transport, tout en diminuant la charge sur le système de santé. Ces modèles différenciés s’intègrent dans la stratégie « tester et traiter » déployée par l’OMS depuis 2016 qui consiste à fournir un traitement antirétroviral (ARV) à toutes les personnes vivant avec le VIH dès leur diagnostic. Ils peuvent prendre plusieurs formes, mais doivent faire l’objet d’évaluation, notamment concernant la rétention dans les soins, l'observance du traitement, la qualité de vie, en fonction des contextes, des personnes et des modèles.

Goma : un site urbain et un modèle de décentralisation communautaire

Chef-lieu de la province du Nord-Kivu en République démocratique du Congo, Goma compte plus d’un million d’habitants. MSF y appuie le ministère de la Santé dans la prise en charge des personnes vivant avec le VIH et a mis en place un modèle de prestation communautaire de délivrance des ARV. Chacune des 10 personnes composant un groupe communautaire collecte à tour de rôle les médicaments à la clinique et les distribue aux autres membres du groupe, contrairement au modèle clinique où la personne doit venir tous les 3 mois renouveler ses ARV, avec/sans consultation d'un professionnel de santé. 

« Nous nous sommes intéressés à l'évaluation de ce modèle, car il présente des caractéristiques différentes de ceux généralement implémentés dans d’autres contextes. Jusqu’à présent les groupes constitués comptaient 6 personnes et étaient mis en place en milieu rural, précise Jihane Ben Farhat, épidémiologiste à Epicentre et principale investigatrice.

Parmi les 331 personnes sur les 1 950 incluses dans l’étude coordonnée par Franck Lutu (désormais responsable médical à MSF) qui ont opté pour la délivrance au sein du groupe communautaire, 33 % étaient sous ARV depuis plus de 10 ans, contre 14 % dans le modèle de délivrance classique, dit clinique. Au bout de 6 mois, 98 % et 94 % des personnes faisaient toujours partie respectivement du modèle de prestation communautaire et du modèle de prestation clinique. Les taux de couverture et de suppression virale étaient similaires dans les deux modèles. Au bout d’un an, une baisse plus marquée de la rétention était observée dans le modèle clinique et le risque d’avoir des personnes décédées, perdues de vue ou déplacées était réduit de 57 % dans le groupe communautaire par rapport au modèle clinique.

« La dynamique de groupe crée très certainement un environnement protecteur où les patients discutent de leurs problèmes, échangent leurs expériences et se soutiennent mutuellement » précise Jihane Ben Farhat.

Et cela renforce l’adhésion au traitement comme l’explique un homme de 50 ans faisant partie d’un groupe « Les conseils et la solidarité entre les membres du groupe me donnent l'espoir de vivre et m’encouragent à prendre les médicaments »

D’ailleurs la majorité des participants ont jugé satisfaisant l’accueil, le fonctionnement, le renouvellement des ARV au sein du groupe et les échanges entre les membres. Quant aux pistes d’amélioration, elles portent plutôt sur une décentralisation encore renforcée, avec notamment la mise à disposition des médicaments injectables à longue durée d’action. « Car boire les médicaments chaque jour ça fait mal à l'estomac » déclare une femme de 57 ans. Il serait également intéressant d’explorer les raisons pour lesquelles les personnes vivant avec le VIH et éligibles ne choisissent pas le mode de délivrance communautaire et préfèrent continuer leur suivi en clinique.

Kasese : une communauté de pêcheurs itinérantes

Depuis 2017, MSF soutient le ministère de la Santé ougandais dans le déploiement de modèles de délivrance différenciés dans 3 districts. Parmi les populations suivies se trouvent des communautés de pêcheurs qui se déplacent le long des lacs George et Edward à la recherche des bancs de poissons. En 2016, Epicentre avait mis en évidence qu’une part importante des personnes vivant avec le VIH dans cette population était déjà diagnostiquée et sous traitement. Cependant, le taux de suppression de la charge virale, un des indicateurs clés dans la prise en charge des patients, n’était que de 67% et ce, très certainement en raison d’un mauvais suivi du traitement.pecheurs ouganda

« La mobilité des communautés de pêcheurs limite l’accès aux sites de délivrance des ARV et semble être le principal obstacle à l’observance du traitement, note Jihane Ben Farhat, investigatrice principale de l’étude. Nous avons donc évalué le modèle de renouvellement rapide avec une collecte d'ARV pour 3 à 6 mois dans les établissements de santé, et le modèle communautaire avec la délivrance de l’ARV par une personne au sein d’un groupe de six qui se relaie tous les mois pour aller chercher les traitements. »

Premier constat : parmi les 1 767 personnes enrôlées dans l’étude coordonnée par l’épidémiologiste Carol Liu, le modèle de renouvellement rapide a été légèrement plus plébiscité. L’une des raisons invoquées pour expliquer ce choix est la perte de confidentialité associée à l'adhésion à un groupe. Les profils des personnes ayant opté pour le modèle communautaire étaient aussi légèrement différents : plus âgé, ayant commencé leur traitement il y a plus d’un an et avec des temps de déplacement vers les établissements de santé plus courts.

« La rétention dans les soins était élevée dans les deux modèles. Par contre, nous observons une meilleure rétention dans le modèle communautaire pour les personnes ayant un long trajet pour se rendre au centre de santé que dans l’autre modèle, » résume Jihane Ben Farhat. Parmi les personnes disposant de résultats des tests de charge virale, plus de 97 % avaient une charge virale supprimée au cours des deux premières années, quel que soit le modèle de délivrance, ce qui illustre la réussite de ce programme. »

Si les deux modèles remportent un fort taux de satisfaction, les raisons varient d’un modèle à l’autre. Les membres du groupe communautaire mettent en avant l'existence de bilans de santé, le partage des connaissances, la diminution des coûts de déplacement et le soutien social et financier fournis au sein de leurs groupes.

« Je me sens bien [dans le groupe NDLR] car lorsque je reçois quelque chose que je ne comprends pas, notre cheffe d'équipe intervient immédiatement pour m'expliquer ce qui se passe ; elle me conseille et m'oriente vers la bonne voie à suivre. » a déclaré un homme d’un des groupes.

La réduction de la fréquence des visites dans les établissements de santé est, quant à elle, perçue comme un gain de temps. Ainsi, comme en témoigne une homme de 38 ans, qui fait partie d’un groupe communautaire :

« Même lorsque je suis absent, je suis en mesure de recevoir mes médicaments, et une autre chose est que, lorsque je suis occupé dans mon entreprise de poisson, ils livrent mes médicaments à mon domicile. C'est pour cela que j'aime ce groupe ».

L’autre modèle apporte aussi son lot de bénéfices au nombre desquels figurent la meilleure confidentialité que dans les groupes, la possibilité de consulter directement les travailleurs de santé à chaque renouvellement de médicaments, la commodité du renouvellement notamment pour les personnes résidant à proximité des établissements de santé et la flexibilité du calendrier de renouvellement qui tient compte des exigences professionnelles et personnelles.

Comme l’explique un poissonnier qui fréquente un établissement de santé à Katunguru. « Parce qu'ils font bien leur travail et qu'ils accordent de l'attention à leurs clients, c'est pourquoi je ne peux pas m'éloigner d'ici »

Malgré les progrès réalisés ces dernières années dans la lutte contre l'épidémie de VIH, une approche unique de prise en charge n'est pas suffisante. Pour continuer à progresser, il faut pouvoir toucher toutes les populations, même les plus vulnérables, et leur proposer des modes de délivrance de traitements et de soins en adéquation avec leurs modes de vie, qu’il s’agisse d’enfants, d’adolescents, des populations itinérantes, marginalisées… Comme le montrent ces deux études menées par Epicentre en Ouganda et en RDC parmi des populations très différentes, adapter la délivrance aux modes de vie des personnes vivant avec le VIH favorise la rétention dans les soins, la suppression de la charge virale et une meilleure acceptabilité. L’essor de ces modèles centrés sur la personne qui adaptent les soins et les traitements pour que les patients puissent mener une vie normale doit donc se poursuivre sans oublier d’en évaluer l’efficience pour chaque nouveau contexte et population.

 

Crédit photo : Franck Ngonga/MSF

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